13 mars 2018

Bienvenue à la grande loterie de l’hygiène alimentaire !


Bienvenue à la grande loterie de l’hygiène alimentaire ! L’affaire Lactalis a révélé une fois de plus une tendance inquiétante : la France lâche du lest sur les contrôles sanitaires et les entreprises peu regardantes s’en tirent miraculeusement. 

Autocontrôles et petits secrets

Pas de morts cette fois, mais un scandale mondial, et une liste de chefs d’accusation longue comme le bras. Mise sur le marché d’un produit préjudiciable à la santé, inexécution d’une procédure de retrait ou de rappel d’un produit, tromperie aggravée… la plainte déposée le 14 février par l’association Foodwatch liste douze délits et quatre responsables : le producteur, le laboratoire chargé des analyses d’hygiène dans l’usine infectée (Eurofins), la grande distribution et les pouvoirs publics. Aucun des quatre acteurs n’a respecté ses obligations légales, déplore Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch. Il y a pourtant une règlementation européenne et une loi française qui sont solides. Il faut qu’elles soient enfin appliquées. Mais quand on se penche sur la manière dont est organisé et géré le système français (et européen) de protection sanitaire des consommateurs, on comprend que le ver est dans le fruit.

La pierre angulaire du système, c’est l’autocontrôle. C’est ainsi à l’entreprise qui met en premier un produit sur le marché de s’assurer qu’il ne présente aucun danger pour la consommation humaine. Derrière, les intermédiaires successifs doivent assurer la traçabilité et sont tenus de retirer le produit du circuit dès qu’ils ont connaissance d’un problème. Dans un tel contexte, la tentation est grande pour les opérateurs alimentaires de fermer les yeux sur des contrôles embarrassants pour la bonne marche de leurs affaires. Comme ceux qui démontraient, dès 2011, que l’usine Lactalis de Craon, en Mayenne, était infestée de salmonelle.

Le livre-enquête de Géraldine Maignan, Les réseaux de la malbouffe, recèle d’exemples de ce type, avec des conséquences plus ou moins graves. Des mauvaises habitudes qui semblent aller de paire avec ce que déplore Foodwatch : le faible nombre de sanctions exemplaires pour les entreprises peu regardantes, aidées par l’opacité des filières alimentaires internationales et la bienveillance des pouvoirs publics. Aucune sanction n’a été prise en France contre les entreprises ayant transformé et commercialisé des œufs au fipronil, et Findus, qui a vendu des lasagnes pur bœuf à la viande de cheval, a même réussi à se poser en victime de ses fournisseurs !
45 postes vont être supprimés cette année à la répression des fraudes, qui en a déjà perdu 1000 les quinze dernières années.

Toujours un coup de retard

Le dispositif prévoit heureusement des contrôles publics pour traquer les fraudes ou les défaillances… sauf que ceux-ci sont en recul ! Le collègue censé faire les contrôles dans l’usine Lactalis est parti et n’a pas été correctement remplacé, raconte Jean-Philippe Simon, enquêteur dans la Sarthe pour la répression des fraudes (DGCCRF). L’attribution a été donnée à la direction régionale à Nantes. Mais si on éloigne de plus en plus les contrôleurs des sites de production, ça ne peut mener qu’à des dérives ! On s’est rendu compte après coup que Lactalis ne transmettait pas ses données de contrôle.

Syndiqué CGT, l’agent déplore en premier lieu le manque de moyens humains : 45 postes vont être supprimés cette année à la DGCCRF, qui en a déjà perdu 1000 les quinze dernières années. Sur les 2800 restant, seuls 2200 enquêtent sur le terrain, dans tous les secteurs de la consommation, des casques de motos aux fruits et légumes. C’est la misère absolue, dans certains départements ruraux nous sommes quatre agents de terrain ! assure Jean-Philippe Simon, qui doit de plus en plus se contenter de contrôler… l’autocontrôle, c’est-à-dire de vérifier les rapports d’analyse fournis par les entreprises elles-mêmes. On part sur de la vérification après accident, on n’a plus le temps d’aller voir les établissements avant, regrette l’agent public.

Il y a un problème de moyens humains phénoménal, mais nous demandons aussi la reconstruction d’une chaîne verticale de commandement, explique Emmanuel Paillusson, secrétaire général de Solidaires CCRF, le syndicat majoritaire. Les contrôles sont en effet assurés par deux administrations différentes : la DGCCRF, dépendante du ministère des Finances, et la Direction générale de l’alimentation, dépendante du ministère de l’Agriculture.

En plus de parfois se marcher sur les pieds, les agents doivent rendre des comptes à des directions régionales pas toujours en accord avec les souhaits des ministères. Il y a un problème d’efficacité depuis la mise en place de ce système en 2009, assure le syndicaliste. Si le gouvernement actuel semble tenté par une restructuration bienvenue des services, il prévoit aussi une petite révolution qui effraie les agents : la délégation des contrôles à des opérateurs privés. L’externalisation des contrôles, pour nous c’est quelque chose de fou. Est-ce que l’entreprise qui va faire les contrôles va communiquer des analyses négatives, au risque de froisser son commanditaire ?, se demande Emmanuel Paillusson. La mesure, si elle devait s’appliquer à tous les restaurants, risque de créer des petits scandales Lactalis dans tout le pays. On est dans une société où il faut faire confiance aux entreprises. D’accord, mais comment leur refaire confiance après ces affaires ?
Il n’y a même pas de sanction prévue lorsque les entreprises ne font pas leurs autocontrôles !

Des peines ridicules

Foodwatch préconise un renforcement drastique des peines encourues par les fraudeurs. Il n’y a même pas de sanction prévue lorsque les entreprises ne font pas leurs autocontrôles !, déplore Karine Jacquemart. Accusé de défaut d’alerte après un contrôle préoccupant, le laboratoire Eurofins, 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires visé en 2019, risque… 750 euros d’amende. Jean-Philippe Simon se souvient d’un temps où toutes les infractions liées à la consommation passaient au tribunal : Les journalistes étaient présents, ça passait dans le journal du lendemain, il y avait l’exemplarité de la peine. Maintenant la plupart passent discrètement en amendes administratives, et certains peuvent se croire en toute impunité. C’était le temps, pas si lointain, où la peur n’avait pas encore changé de camp. 

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